Monnaies de gros et monnaies de détail à l’heure des monnaies cryptées

Monnaies de gros et monnaies de détail à l’heure des monnaies cryptées

La vieille distinction « monnaie de gros et monnaie de détail » a-t-elle toujours un sens de nos jours, à l’ère de la monnaie électronique et des monnaies cryptées ?

 

 

Une question vieille comme la monnaie

Lorsque les Lydiens « inventent » la monnaie, c’est-à-dire lorsqu’ils mettent en place un vrai système monétaire qui implique la signature du Souverain (d’où l’expression de monnaie signée qui sera appliquée aux monnaies d’or, d’argent et de bronze frappées par les trésors officiellement agréés), ils ne résolvent pas toutes les questions relatives aux échanges et à leurs paiements. Au côté des monnaies d’or dont la valeur en biens produits ou récoltés était considérable, on trouvait des monnaies en métaux vulgaires, étain, plomb, cuivre qui servaient à apurer les petites transactions, le bol de soupe ou d’eau, le morceau de pain, le poulet etc.

Les pièces d’or ou d’argent avaient quant à elle pour objet le règlement d’échanges importants au sens de l’Etat et du souverain : payer un tribut, régler des opérations de commerce international, payer les mercenaires, recevoir les impôts.

« Plutarque indiquait qu’un mouton valait une drachme, c’est-à-dire une pièce en argent dont le poids est de plus ou moins 4,30 g. Aurait-on pu régler un morceau de mouton au moyen d’une pièce de monnaie lydienne en électrum, un alliage d’or et d’argent ? La plus petite pièce lydienne pesait 0,15 gramme, valeur d’un tiers de mouton ! (Pour donner une idée de la taille de ces pièces de monnaie, il faut se souvenir que le Napoléon pèse 6,45 g…) Que conclure de tous ces exemples : qu’ils soient pesés ou frappés, ces moyens de paiement ne s’appliquaient pas à toutes les transactions courantes. »*

XIXe – XXe siècles

Passons les siècles qui ne changeront pas grand-chose à cette dualité entre monnaie de gros et monnaie de détail et venons-en à l’époque moderne. Au début du XIXe siècle et pendant un long moment, jusqu’après la guerre de 1914,  le billet de banque de même que l’or et l’argent, seront des monnaies de « gros ». Elles étaient réservées aux opérations de montants élevés, aux dépenses publiques et limitées, entreprises, commerce international, banquiers, et administration.

Pour les autres, les remarques formulées plus haut s’appliqueront aussi avec une particularité : le numéraire de faible montant a souvent manqué. Il se présentait sous des formes quelque fois étonnantes : les timbres postes, les tickets de tram enchâssés sous forme de pièces ont servi de monnaies de détails. Jusque dans les années Trente, en France, les Chambres de Commerce et d’Industrie étaient missionnées par les pouvoirs publics pour émettre la « menue monnaie », la monnaie divisionnaire.

A l’heure des monnaies cryptées

Cette distinction « monnaie de gros et monnaie de détail » a-t-elle toujours un sens de nos jours, à l’ère de la monnaie électronique et des monnaies cryptées ? On aurait presque envie de dire : plus que jamais !

Pour l’observateur de base, l’euro est la monnaie des membres de l’Union Européenne (qui y ont adhéré). Les agents économiques utilisent l’euro pour payer leurs baguettes de pain, approvisionner leurs livrets d’épargne ou acheter un appartement, cela ne frappe personne que d’autres agents économiques, les banques, les fonds d’investissement, les très grandes entreprises utilisent le même euro pour déplacer des milliards d’euro, pour monter des opérations de change portant sur des dizaines de milliards.

Insistons : non seulement, c’est le même euro, mais en plus il est de même nature puisqu’il s’agit d’un euro scriptural, c’est-à-dire d’une monnaie de banque. Cela fait beau temps que, dans la plupart des pays européens, l’utilisation du billet de banque s’est réduit à très peu de choses. On a entendu ici et là, lors de la crise de 2018, qu’il était choquant que des banques aient utilisé la monnaie de « tout le monde » pour spéculer frénétiquement.

S’esquissait ici l’idée que si les « gros » avaient leur « euro de gros », ils ne mettraient pas en danger les « petits », utilisateur de l’euro de détail. L’arrivée des monnaies cryptées souveraines est en passe de relancer la controverse !

 

* Extrait de « Penser la Monnaie : entre pesant d’or et pièces frappées. » P. Ordonneau, Huffington post, 06/09/2016.

 

Par Pascal Ordonneau

Photo de M. Pascal Ordonneau

 

 

 

Ouvrages de Pascal Ordonneau aux éditions Arnaud Franel :

Des monnaies cryptées aux ICO
Monnaies cryptées et blockchain

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